PIERRE PAUL RUBENS SOUS LA TONNELLE DE CHÈVREFEUILLE 1609 Pierre Paul Rubens - Sous la tonnelle de chèvrefeuille 1609 Huile sur toile - 178x136,5cm - Munich Alte Pinakothek Peu après son retour d’Italie où il séjourna huit années, Pierre Paul Rubens épouse en 1609 Isabelle Brant, fille de l’humaniste et avocat anversois Jan Brant. Pour célébrer cette union Rubens peint ce tableau de mariage représentant en un double portrait les jeunes épousés. Loin d’une représentation compassée l’œuvre séduit le regard par le charme de son naturel, le raffinement de ses harmonies, la poétique des sentiments exprimés. L’espace condense la plénitude de leur présence comme saisie sur le vif lors d’une promenade champêtre. Pour se reposer, Rubens et Isabelle se sont-ils assis à l’ombre d’une tonnelle de chèvrefeuille, lui sur un banc en bois de la manière la plus naturelle qui soit, jambes croisées, le buste imperceptiblement incliné vers la jeune femme assise à ses côtés en
Le tricheur à l'as de carreau
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GEORGES DE LA TOUR
LE TRICHEUR À L’AS DE CARREAU
1636-1638
1636-1638
Georges de la Tour Le tricheur à l'as de carreau - 1636-1638 Huile sur toile - 106 x146 cm - Paris Musée du Louvre |
Description du
tableau
Quatre personnages
étroitement cadrés regroupés autour d’une table, se détachent à mi-corps en
gros plan, plus ou moins éclairés et vivement colorés sur un fond sombre. Ce
sont des joueurs de cartes. Un personnage est assis à chaque extrémité de la
table, à gauche le tricheur d’âge mûr vu de trois quarts dos, en vis à vis
un joueur très jeune assis frontalement de trois quarts en avant de
la table dans le tiers droit. Entre eux au centre une courtisane fait face au
spectateur. Debout sur la gauche, une jeune servante tient une bouteille gainée
d’osier et une fine coupe de vin déjà pleine. Entre la table de jeu, le jeune
homme et le spectateur nul espace. Introduit au cœur même de la scène,
celui-ci devient le quatrième partenaire invisible que consulte d’un regard
appuyé le tricheur, que lorgne de biais sournoisement la servante, et vers
lequel se dirige, vaguement absorbé en lui-même, le regard dubitatif du joueur,
séparé des trois autres personnages par un vaste fond abstrait.
Chaque emplacement est
calculé. L’importance des costumes, des regards, des mains, suscite un étrange
sentiment de théâtralité. Quelque chose se trame. Chacun est à sa place, le
geste en suspens. Chaque réaction dépend de celle des autres. Mais tous
imposent ce quatrième partenaire. Indéniablement le spectateur participe au jeu
parmi les protagonistes en costume du XVII° siècle.
Les joueurs
attendent le moment d’abattre leurs cartes. Le fond noir répercute à
travers l’espace clos l’atmosphère de tension, cet instant précis où soudain
tout va basculer lorsque le tricheur, dans l’ombre, d’un simple geste
faussera le jeu en déposant l’as de carreau.
Les joueurs
L’enfant prodigue
Isolé des autres, absorbé, le visage de profil, le corps de
trois quarts, un adolescent tient serré ses cartes de ses mains délicates.
Coupé par le cadre, placé devant la table, plus proche du spectateur,
il emplit tout l’angle droit du tableau. Son abondante chevelure châtain
foncé soigneusement bouclée, coiffée d’une toque vermillon agrémentée d’un
large plumet ébouriffé aux nuances jaune orangé, auquel répond la douceur du
turban de satin topaze de la servante, contraste avec la pâleur de son
profil à la joue rebondie et ombrée, à la bouche ourlée. Trompé par l’alcool
symbole d’ivresse qui bientôt le mettra en gaieté, par l’ovale stylisé de la
courtisane aux perles indice de luxure et néanmoins issue des belles Diane
de Clouet aux gestes mystérieux, par le tricheur signifiant la perdition au jeu
et dont les cartes blanches aux carreaux rouges se détachent sur le corsage
sombre de la servante, en écho au vin contenu dans la bouteille, telle la
brebis de l’Agneau Mystique de Van Eyck dont il reprend les teintes par les
surcharges somptueuses du juste au corps argent tissé d’or et de couleurs
contrastées diversifiées de rose et vert, le jeune fat va incessamment se voir
sacrifié sur l’autel de la débauche.
En pleine lumière, le
visage poupin, le regard innocent, soigneusement peigné et chapeauté, trop richement
vêtu et paré de couleurs éclatantes savamment contrastées, soucieux de son
seul plaisir, le benêt ne peut prévoir ce que sa naïveté l’empêche de
soupçonner. Inconscient du trafic ambigu qui s’élabore sous ses yeux,
il offre le spectacle raide, engoncé, de la proie isolée prête à être
dévorée. Mis en confiance par la perfide courtisane, le jeune homme est à
mille lieues d’imaginer ce qui se trame, le risque qu’il encourt par de telles
fréquentations. Il ne décèle pas sous la pureté des lignes de cet ovale
presque parfait l’usure physique et morale et sa vulgarité. Il ne
devine pas à travers son ample beauté, ses atours usagés et sa parure de perle,
la femme habituée aux longues heures sédentaires passées aux tables de jeu,
entraînée à séduire puis, secondée de ses comparses, à démunir.
Aucun des trois
personnages englobés dans une même ellipse ne regarde leur proie.
Complicité entre La
servante et le tricheur
Aux coloris éclatants du
garçon répond à l’oblique le rouge vif de la jupe de la servante au corsage
bleu vert foncé et larges manches blanches brodées de fioritures, au
bracelet fantaisie, sur le point de lui offrir abondamment le verre de vin
fatidique qui distraira sa vue du passage de l’as de carreau encore visible aux
yeux du spectateur derrière le dos du tricheur, quand elle viendra remplacer la
carte soustraite préalablement et déjà à l’abri dans la ceinture noire.
Ce personnage en avant-plan regarde vers l’extérieur du tableau tandis que sa bouche esquisse un rictus ironique. Sa narine est frémissante. Son visage triangulaire à la mine peu engageante accentué par la pointe de la barbiche contraste avec la rondeur poupine de la figure de l’adolescent. Il est le seul à ne pas porter de coiffe. Sa chevelure brune aux reflets roux, hâtivement brossée, s’oppose elle aussi au soigné des boucles du jeune homme. La richesse de coloris, la fatuité du costume de l’enfant prodigue contraste avec la sobriété de celui chamois du tricheur, du modeste galon du col brodé d’un motif lie de vin identique à celui de la blouse décolletée de la servante, probable signe de leur complicité. Le tricheur et le joueur dévoilent chacun une expression opposée. L’un dans l’ombre tête nue, au regard sournois, au visage inquiétant, médiocrement vêtu, peu soigné, presque débraillé, les aiguillettes pendantes accusant une suite de verticales successives comme celles de l’œuvre éponyme peinte par Caravage, interpelle le spectateur. Ses mains sont nerveuses et semblent très agiles à la manipulation. La blancheur des cartes densifie le noir de la ceinture d’où elles surgissent. L’étoffe du pourpoint de buffle est sobre et usagée, modulé par des jeux d’ombre et de lumière et le peintre a porté un grand soin au rendu de la matière. Il offre à la vision de sa main ombrée un jeu de cartes d’une blancheur éclatante.
Implacabilité de la
courtisane
Au centre de la scène
l’ample et hautaine courtisane parée du symbolique collier de perles attaché à
sa fonction, impassible personnage, très légèrement décalée, majestueusement
installée, siège entre le tricheur et le joueur.
Tel le fléau d’une balance les deux empiècements habilement répartis autour de l’axe central du corsage n’incarnent-ils pas l’image même de sa propre duplicité. Sur la droite elle est garante de la confiance que lui voue le naïf, trompé par l’équilibre de sa maturité épanouie. Sur la gauche la connivence est évidente entre elle, la servante et le tricheur installés pour une grande part dans la moitié droite du tableau. La femme pointe l’index de sa main droite vers le tricheur qu’elle frôle, geste ambigu, signal attendu pour que se referme le piège infaillible sur le nanti, alors que toute sa personne paraît pourtant le protéger. Le visage, le buste, la gorge sont éclairés de plein fouet. Le peintre semble braquer un projecteur sur cette figure au regard si troublant. L’ovale légèrement imparfait de son visage fourbe retient par son apparente régularité stylisée. La luminosité des chairs se voit rehaussée par les petites boucles d’oreille aux pendants translucides et par le collier de perles blanches aux reflets bleutés. La parure se révèle d’autant plus lumineuse qu’elle repose sur une chair éclatante. Ces mêmes atours sont repris en plus ombré sur le chapeau à corne garni d’un plumet. En effet il épouse tel un diadème le mouvement de la chevelure soigneusement lissée en bandeau à l’exception de deux mèches échappées de part et d’autre du visage. La liberté de ses mèches introduit une touche de désordre en contraste avec la ciselure de l’ovale et le soin de la parure. Elle porte une robe au décolleté profond. Les épaules et le buste sont marqués alors que les bras sont pris dans l’ampleur des manches. La finesse et l’élégance de ce velours ocre, visiblement usagé et négligé sont rendus à merveille. Les manches se déploient en bandeaux bruns laissant entrevoir à travers ses crevés bordés de galons dorés le blanc d’une chemise à la propreté douteuse. Les poignets eux aussi sont parés de bracelets de perles. La main gauche repose, fruit d’une longue habitude, élégamment sur le tapis de jeu élimé. Elle retient serrées des cartes dont n’est visible que le dos lumineux. Ces cartes côtoient des pièces d’or. Son regard et ses mains se portent vers la gauche. Le panache de son chapeau penche sur la droite tel le fléau d’une balance dont les coutures du corsage dessinent le mouvement pendulaire. La courtisane oscille soit du côté du jeune prodigue comme le plumet l’indique soit du côté du groupe d’angle formé par le tricheur et surtout la servante avec qui elle compose un duo féminin inquiétant. Légèrement penchée sur son épaule subrepticement cette dernière s’apprête à officier.
Tel le fléau d’une balance les deux empiècements habilement répartis autour de l’axe central du corsage n’incarnent-ils pas l’image même de sa propre duplicité. Sur la droite elle est garante de la confiance que lui voue le naïf, trompé par l’équilibre de sa maturité épanouie. Sur la gauche la connivence est évidente entre elle, la servante et le tricheur installés pour une grande part dans la moitié droite du tableau. La femme pointe l’index de sa main droite vers le tricheur qu’elle frôle, geste ambigu, signal attendu pour que se referme le piège infaillible sur le nanti, alors que toute sa personne paraît pourtant le protéger. Le visage, le buste, la gorge sont éclairés de plein fouet. Le peintre semble braquer un projecteur sur cette figure au regard si troublant. L’ovale légèrement imparfait de son visage fourbe retient par son apparente régularité stylisée. La luminosité des chairs se voit rehaussée par les petites boucles d’oreille aux pendants translucides et par le collier de perles blanches aux reflets bleutés. La parure se révèle d’autant plus lumineuse qu’elle repose sur une chair éclatante. Ces mêmes atours sont repris en plus ombré sur le chapeau à corne garni d’un plumet. En effet il épouse tel un diadème le mouvement de la chevelure soigneusement lissée en bandeau à l’exception de deux mèches échappées de part et d’autre du visage. La liberté de ses mèches introduit une touche de désordre en contraste avec la ciselure de l’ovale et le soin de la parure. Elle porte une robe au décolleté profond. Les épaules et le buste sont marqués alors que les bras sont pris dans l’ampleur des manches. La finesse et l’élégance de ce velours ocre, visiblement usagé et négligé sont rendus à merveille. Les manches se déploient en bandeaux bruns laissant entrevoir à travers ses crevés bordés de galons dorés le blanc d’une chemise à la propreté douteuse. Les poignets eux aussi sont parés de bracelets de perles. La main gauche repose, fruit d’une longue habitude, élégamment sur le tapis de jeu élimé. Elle retient serrées des cartes dont n’est visible que le dos lumineux. Ces cartes côtoient des pièces d’or. Son regard et ses mains se portent vers la gauche. Le panache de son chapeau penche sur la droite tel le fléau d’une balance dont les coutures du corsage dessinent le mouvement pendulaire. La courtisane oscille soit du côté du jeune prodigue comme le plumet l’indique soit du côté du groupe d’angle formé par le tricheur et surtout la servante avec qui elle compose un duo féminin inquiétant. Légèrement penchée sur son épaule subrepticement cette dernière s’apprête à officier.
Composition
mouvementée
Selon le regard qu’on
leur porte et l’angle sous lequel on les observe, les personnages se
dissocient les uns des autres pour se regrouper différemment. Ces deux femmes,
dont l’une debout, penchée sur l’épaule de l’autre serrant contre elle le
carafon de vin qu’elle vient de verser dans la coupe, forme une oblique
descendante qui telle une flèche invisible s’apprête à déstabiliser le jeune
homme. L’avancée du rouge vif de la jupe de la servante pousse encore
davantage le vermillon éclatant du bas du costume du garçon. Étrange
contradiction que ce couple de femmes complices en oblique et de l’enfant
prodigue aux couleurs chatoyantes. Le visage du tricheur, celui de la
courtisane et du naïf se situent sur une ligne horizontale reprise par le bord
de table lui-même doublé par la position des coudes repliés au premier
plan. L’ensemble conforte l’assise horizontale du tableau coupée par des
verticales formées par la masse axiale de chaque personnage, eux-mêmes inscrits
dans des triangles chapeautés par le grand triangle qui englobe les trois
comparses à l’exclusion du jeune fat. Ce jeu d’horizontales et de verticales
est insidieusement détourné par la diagonale incluant la servante, la
courtisane et le jeune débauché répété en écho par la servante et le benêt.
Elles-mêmes sont déjouées à leur tour par les diagonales croisées à l’origine
des deux groupes courtisane et tricheur.
Mais déjà l’index de la
femme frôle la manche du tricheur, signal fatidique, et établit un axe
horizontal avec la servante. Les trois comparses, le tricheur, la servante et
la courtisane tassés en angle sur la partie gauche, toile d’araignée aux pattes
multiples, aux yeux à l’affût s’apprêtent à fondre sur l’insecte dressé dans
leur trajectoire dans l’autre moitié du tableau.
L’ombre de la table
éloigne encore de ces êtres maléfiques le garçon, rigidifié dans sa cuirasse de
richesse. La main de la courtisane, par sa blancheur, accentue l’ombre de
ce bras du tricheur replié comme une patte d’araignée prête à se tendre
pour saisir l’or abondamment déposé devant le jeune poupin à l’œil vague malgré
l’éclat de ses atours qui ironisent sur la majesté de cet appât brillant
d’ornement argenté et doré. Il est bien seul pour se défendre du théâtre de
mains, de regards en coin, petit théâtre dans le théâtre de la fourberie
généralisée aux intentions désormais évidentes.
Cette partition à quatre mains se joue sur la gauche avec
pour cadre étroit la manche ocrée du tricheur et celle veloutée de la
courtisane, silencieux ballet gestuel que conforte la mimique éloquente des
regards obliques, demi-cercle fatidique parti de l’organisatrice centrale
reprise par la verseuse de vin prêt à enivrer sa victime et conclu par le
tricheur lui-même provoquant le spectateur. La boucle est bouclée. Ils scandent
l’implacable représentation de ces comparses et trios successifs qui se
forment, s’abandonnent, s’isolent pour finalement, de leur expression en
suspens, de la symbolique des atours et objets, représenter le récit biblique
de l’enfant prodigue vite dépouillée et rentrée repentant à la maison de son
Père.
Ce tableau à première vue
hiératique, stylisé, d’une immobilité implacable ne cesse en réalité de se
déplacer.
Instant fatidique
L’uniformité du fond
sombre contraste avec la somptuosité des couleurs de certains
habits ; la richesse des parures violemment colorées avec l’aspect
usagé d’autres vêtements. Chaque personnage théâtralisé est caractérisé par son
allure, son costume, son expression, sa fonction, sa place. Et pourtant la
sobriété évidente de la scène limitée à quelques personnages n’a d’égal que la
simplicité de son action en comparaison avec la complexité de la
représentation et la complexité de son élaboration.
Malgré l’aspect opaque
chacun dit ce qu’il est ; le joueur dévoile ouvertement son jeu ; la
courtisane dupe par son apparente beauté et cache le sien connu de sa
servante ; le tricheur fausse le jeu. La servante distrait le naïf ;
la courtisane déclenche la catastrophe ; le tricheur possède la carte
victorieuse ; le joueur possède les pièces d’or. Rien n’est en repos. Tout
est en suspens. La présence imposante et stable de la femme la rend attrayante,
son regard en fait une fourbe. Figure centrale elle est en réalité décentrée.
Apparemment de face, elle n’en est pas moins légèrement déplacée vers la
gauche.
Une tension se crée entre des personnages pourtant
chacun emmuré dans son rôle. Une apparence paisible déjouée par la mobilité des
yeux et des mains compose un bas-relief sur fond parfaitement obscur
et abstrait propice à ne pas détourner l’attention concentrée sur la
scène qui se joue.
Implacable comme le
subtil jeu des ombres et des lumières, des regards et des mains, le destin
lui-même tétanise sous un éclairage froid venu de gauche les
protagonistes liés les uns aux autres. Livrés au spectateur devenu acteur ils
apparaissent comme ciselés dans leur rôle alors qu’ils font tout pour justement
ne pas laisser paraître ce qu’ils sont aux yeux du naïf par leurs
expressions obliques et leurs gestes codés. Lui seul ne triche pas. Mais son
goût du jeu, des femmes et du vin l’a conduit à
s’asseoir à la table où va se dérouler une scène dont ils
représentent la vision négative.
Le tableau, terrifiant par la froide clarté de sa
duplicité, ne laisse aucun espace de salut. Implacablement, dans la finesse de
ses lignes découpées sur le néant, l’œuvre lissée, éclairée, stylisée,
elliptique, apparaît rigidifiée, glacée, malgré la chaleur de ses vermillons
soutenus par la scrupuleuse ostentation des étoffes et des chairs. L’œil froid,
scrupuleux du peintre scrute sans compassion le visage du monde et de ce
microcosme abandonné à la passion du jeu.
Que la lumière s’éteigne,
que cesse cette démonstration ils ne seront plus que fable.
Spectateur
partenaire en déroute
Ici
rien n’est encore joué, tout va l’être bientôt, la catastrophe est imminente,
le piège prêt à se refermer. C’est le moment précis auquel le spectateur va se
joindre à la scène lui à qui n’est accordée aucune moralité puisqu’il
en devient fatalement partenaire et désormais un redoutable
acteur. L’ouverture du cadre, à l’invite du tricheur,
demeure ostensiblement une incitation à transformer le spectateur en
acteur et à le faire participer au silence bourdonnant de la rumeur
intime propre à chaque exécutant.
Malgré une apparente
ordonnance, un sentiment de démantèlement s’installe. Comme les aiguillettes
dénouées du tricheur les choses vont se défaire, se disjoindre. Le jeune riche
est impeccable, cheveux strictement ondulés, costume parfaitement fermé,
aiguillettes gracieusement nouées mais le plumet déjà n’est plus bien
lissé. Pour la courtisane et le tricheur tout est bien, ils vont s’en mettre
plein les poches. L’atmosphère devrait être à la légèreté ou à l’ironie mais
curieusement il n’en est rien. Là encore seul subsiste ce sentiment
de trouble. La tricherie n’est pas encore perpétrée mais elle
est imminente. Le piège ne s’est pas encore refermé sur sa proie mais tout est
en place. Dans un bref instant les choses vont s’accomplir. Comme les joueurs
ne sont pas dans le plein de l’action, le spectateur lui-même ne se trouve pas
non plus dans une position bien
définie. Il demeure en suspens et à contre-courant sans pouvoir encore
basculer dans un drame non encore réalisé tout comme le jeune homme
bientôt pris au piège dans les rets du filet. Le tableau indique une succession
d’événements non cernés mais pressentis comme imminents. Le costume du joueur,
col blanc brodé de grenade multicolore tissé d’or soigneusement fermé, bien
noué dessine ce piège qui l’enserre dans l’espace clos du tableau, il ne
pourra rebrousser chemin. L’observateur quant à lui Invité à flouer un
pauvre joueur pour s’emparer de son or, se trouve entraîné dans un stratagème
ressenti comme implacable déchiré par le dilemme d’avoir à choisir son camp,
sollicité du regard par un tricheur pariant sur le fait bien connu que le
visiteur préférera se placer du côté des gagnants plutôt que de celui qui va se
faire berner. Ce faisant le peintre, sans discours, didactisme ou pédagogie
fait éprouver à ce spectateur nouveau partenaire de ce jeu de dupes le
sentiment que lui aussi comme le benêt, va être prisonnier de
sa propre immoralité.
Une inquiétude émane de
l’ambiguïté créée par les contrastes difficilement repérables tant
l’homogénéité du tableau domine. Un sentiment incompréhensible d’angoisse,
qu’apparemment rien ne justifie, s’installe. Jeu de dupes où les moins
scrupuleux parfaitement organisés gagnent sur la fatuité luxueuse de l’appât
pourtant largement nanti. Le temps suspendu ne laisse aucun doute sur le
constant recommencement d’une vision de la vie traduite dans sa froide
vérité.
Conclusion
Cet art hautain, aseptisé
en un cadrage rapproché, un espace restreint, sans profondeur, où seule la
monumentalité de la figure humaine se découpe sur un fond abstrait,
s’écoule dans le temps intérieur de la pensée, Cette œuvre prend place
dans la série des chefs-d’œuvre diurnes. Y sont rassemblées les qualités
qui suscitent le style de La Tour. À l’accentuation de l’opposition
des ombres et des lumières s’ajoute le contraste chaud froid dégagé par
l’utilisation magistrale d’une harmonie dont la justesse de ton ouvre à la
plénitude recherchée. La construction atteint un haut degré d’équilibre malgré
l’apparent baroquisme des ellipses et des diagonales. La technique picturale,
soucieuse d’atteindre un réalisme synthétique, enserré dans un plan ombré
repousse éloquemment la scène vers le spectateur, met en valeur chaque
détail et conserve aux figures leur vérité sociale et psychique.
Le jeu de mains traité
par Caravage dans « Les Pèlerins d’Emmaüs », Le Tricheur et La
Vocation de Saint Mathieu comme le jeu de regards de la femme
des « Musiciens » de l’anonyme Lorrain ne furent pas étrangers au
choix du Tricheur à l’as de carreau.
Malgré l’apparence
artistique d’une pure perfection poussée à son paroxysme jusqu’à en devenir
paradigmatique d’un classicisme pictural le franchissement des limites morales
d’une concomitance de deux perspectives antagonistes entraîne le spectateur
dans une spirale vertigineuse irrésolue.
Quelques
éléments connus de la vie de Georges de La Tour.
Que peut-on affirmer à ce
jour sur la personne de Georges de La Tour ? Nul portrait, nulle
description ou rapport écrit. Seuls quelques actes administratifs jalonnent sa
vie. Ils fournissent et donnent de rares mais précieuses indications sur ses
séjours hors de sa Lorraine natale où il vit le jour en 1593 à Vic- sur
-Seille.
Vic, lieu de
villégiature, centre administratif autorisé à battre monnaie, avec son école,
son imprimerie, sa vie locale appartient à l’évêché de Metz, bien qu’il soit
rattaché au duché de Lorraine. Ce centre du catholicisme franciscain fut l’une
des raisons du mysticisme épuré propre à La Tour.
Jusqu’en 1620 peu
d’indices permettent de suivre le trajet du jeune peintre. Une certitude
néanmoins, il connut une importante personnalité Alphonse de Rain, poète,
religieux, ami des arts, collectionneur, neveu du Cardinal Charles de Lorraine.
Nul doute que La Tour, apparenté par son mariage à ce noble personnage, ne
profita de ses relations et des nombreuses œuvres d’art de ses collections pour
enrichir son répertoire d’images, pour former son goût et se lancer dans une
carrière que son ambition et son génie laissait prévoir brillante malgré la
concurrence. En effet, en ce début du XVII° siècle, la Lorraine n’était pas
dépourvue de talents locaux, comme Claude Begoz de Vic et bien d’autres.
Certains virent leur réputation s’étendre jusqu’à Paris. Tel fut le cas de
Jacques Bellange. Enfin personne ne peut oublier le plus illustre d’entre eux,
Jacques Callot, dont les œuvres gravées ne manquèrent sûrement pas de frapper
le jeune La Tour. Beaucoup parmi les plus célèbres firent le voyage d’Italie et
allèrent rejoindre cette colonie lorraine de Rome ouverte aux jeunes talents
qui trouvaient là gîte et relations. La Tour a-t-il suivi les pas de ses
illustres contemporains tel entre autres Claude Lorrain ?
Que sait-on encore de
source sûre ? La mort en 1618 du père de sa femme et de son propre père.
Son déménagement avec la naissance d’un premier fils de Vic à Lunéville, ville
natale de sa femme Diane qu’il épousa en 1611. Là aucune rivalité
n’est venue troubler l’ambition du jeune peintre alors qu’à Vic le jeune
Dogoz, avide de ressources s’y défendait déjà ardemment, tandis qu’à Nancy
Claude Deruet, fort de ses succès romains et des relations de sa famille,
s’installait dès 1619. Incapable de lutter contre leurs avantages, La Tour
sagement restreint ses ambitions à la ville natale de sa femme, avec d’autant
plus de sérénité que l’art de cour indispensable pour plaire au duc n’était
guère de son fait lui qui, tout imprégné du Caravagisme, va bientôt laisser sa
facture réaliste et s’employer à peindre les personnages des douze apôtres dont
on ne sait à quelle occasion ni pour qui ils furent exécutés.
Désormais, sujet du duc
de Lorraine, après avoir obtenu l’exemption des principales servitudes grâce à
l’intermédiaire probable d’une personnalité haut placée et à une lettre
particulièrement habile et déférente, le peintre ne tarde pas à prendre un
apprenti sans toutefois le loger dans sa trop modeste demeure.
Dix années prospères
verront sa famille grandir annuellement d’autant, moitié garçons, moitié
filles. Mais seuls trois enfants vivront suffisamment longtemps pour assister
au décès rapproché de leurs parents.
En 1624 Charles IV
succède à Henri II. Cette année La Tour et sa famille se sont établis dans le
domaine acheté à sa belle-mère partie elle-même rejoindre son fils. Deux ans
plus tard, la prospérité aidant, un second apprenti est recruté cette fois à
domicile. Dès lors l’artiste mène une vie de notable certainement soutenu par
sa parenté.
Dès 1623, la vente de ses
tableaux contribue largement aux revenus familiaux. D’éminentes personnalités
parrainent les naissances successives. Il prend part vraisemblablement à la vie
sociale et mondaine du lieu, soucieux d’établir sa réputation au mieux de ses
intérêts d’artiste et d’exploitant agricole.
Il est admis, au vu de
ses ressources de plus en plus abondantes que La Tour ne manque pas de
commandes et que sa notoriété parmi les bourgeois et les personnalités ne fait
aucun doute. Plutôt que des retables, fort prisés, il préférât sans doute
plaire à une clientèle de proximité par des œuvres plus intimes tels que les
portraits et diverses œuvres de petites dimensions comme cela se faisait
couramment dans les milieux académiques.
Jusqu’en 1631, sa
renommée s’étendit bien au-delà de la Lorraine. Il se retrouve à cette date
cité « honorable G de La Tour peintre ». La guerre de Trente ans
n’épargne pas le duché état tampon entre la France et l’Empire d’où
l’inquiétude de Louis XIII qui en 1632 destitue par le Traité de Vic le fourbe
Charles IV de Lorraine. En 1633 la peste vient ajouter aux maux de la
population. Pressuré par les armées françaises autant qu’étrangères Nancy voit
le retour de Louis XIII et l’abdication du duc de Lorraine réfugié à Lunéville
puis en Toscane après avoir épousé sa cousine. Avec la nomination d’un
gouverneur, la Lorraine devenue française doit allégeance au Roi ; la
résistance des Lorrains soutenus par l’Empire accentue les tensions et c’est en
1635 l’incendie de Lunéville par les Français. Nulle mention n’est faite de
Georges de La Tour dans ces années terribles qui permettent de nombreuses
hypothèses sur d’éventuels voyages dans le Nord. Néanmoins des textes indiquant
la venue d’un apprenti en 1636 laissent supposer qu’il n’a pas perdu l’ensemble
de ses biens. Il n’est guère douteux que la plupart de ses œuvres sinon la
totalité de ses peintures antérieures, à l’exception de celles connues à ce
jour, n’ont pas été épargnées par les destructions diverses.
De retour à Lunéville, la
même année de la peste voit la mort du jeune apprenti et deux ans plus tard de
nouveaux pillages et incendies. La résistance du peintre est à son terme.
Lorsque après des souffrances sans nom subies par ses concitoyens auxquels
probablement ni lui-même ni les siens n’échappèrent malgré leur situation
privilégiée, La Tour décide de quitter la ville laissant derrière lui ses biens
dévastés, il n’a certainement pas omis d’envisager sinon de s’installer du
moins de séjourner à Paris, centre favorable aux artistes, nombreux et pour les
plus favorisés logés au Louvre.
On sait avec certitude
que le peintre s’y installa lui-même durant six semaines entre 1638 et 1639.
C’est à cette époque que se place un épisode rapporté par l’exégète
et érudit Dom Calmet permettant de dater le Saint Sébastien offert à
l’éblouissement du roi Louis XIII qui en fut si satisfait qu’il décrocha tous
les autres tableaux pour n’y laisser que celui-là.
À Paris où il semble
avoir voulu résider puisqu’il y prit un apprenti, il travaille fort
probablement pour les plus illustres serviteurs du roi, Le Nôtre, Boulle dont
l’inventaire mentionne ses œuvres.
De retour à Nancy en
1639, il ne paraît plus envisager une étape parisienne malgré une
célébrité qui dut faire bien des envieux. Il ne serait pas étonnant que cet
homme d’affaires implacable ne dédaignant pas s’il le faut de
recourir aux coups et injures s’il s’agissait de faire respecter ses
biens et ses droits ne se soit, malgré son ambition, guère plu dans
l’atmosphère de la cour et l’artifice de la vie mondaine. Les œuvres
toutes imprégnées d’intimité spirituelle, sobres et musicales jusqu’au silence
et au monochrome sont sans doute la réponse apportée à ces aléas parisiens qui
n’ont pu que le conforter dans son style de vie de gentilhomme campagnard
et de peintre de génie, l’un n’allant pas sans l’autre puisque, lorsqu’il
engage un nouvel apprenti en 1642 il prend soin de stipuler qu’il l’aidera dans
la gestion de ses domaines.
Une telle diversité de
registre étonne quand on prend connaissance des quelques documents d’archive
qui décrivent un homme actif, intransigeant, habile en affaires et à se lancer
dans le monde, à trouver une clientèle, à défendre ses intérêts, peu enclin à
la miséricorde, bien vu des puissants en place et grâce à son mariage menant
une vie de riche propriétaire terrien et de notable. La Tour gardait la
tête froide pour orienter sa vie et son œuvre et ménager ceux qui pouvaient
être utiles à son avancement vers une reconnaissance à laquelle sans aucun
doute il aspirait tout en sachant conserver son originalité et ne pas sacrifier
son art sur l’autel de la réussite sociale.
Les thèmes, d’abord
réalistes, montrent des vieillards, des apôtres traités comme des paysans ou
des rixes de tous genres, mendiants, mangeurs de pois et autres gens des
campagnes.
Puis très vite
apparaissent soit des sujets de tripot, soit des figures de Saint, personnages
isolés, méditatifs traités d’une façon réaliste. Jusqu’à ce que La Tour
franchisse le cap des nocturnes pour ne plus peindre que des sujets profanes
d’esprit mystique.
Dans la première partie
de sa vie, ces « sujets diurnes » d’inspiration caravagesque hérités
de ses suiveurs nordiques ou italiens suffisent à son génie. Une palette
raffinée et sobre aux riches textures ocrées ou sourdement saumonées que
font chanter parfois quelques jaunes et bleus éteints évoquent la psychologie
profonde avidement scrutée d’hommes et de femmes du terroir. Un travail de
création calme, lent, concentré, intense, fait autant d’esprit de finesse que
de géométrie, d’une fascination contrôlée, s’efforce de soustraire
progressivement ce qui ne sert pas à la sobriété du propos. Le processus
créatif du peintre évolue au cours du temps vers une épuration encore plus
approfondie, synthétique.
Par contre les dernières
années seront entièrement consacrées à l’intimité dans sa plus sobre et
profonde authenticité. Monumental dans la simplicité de son humanité, par
l’étendue des plans d’ombre de valeurs uniformes ou de pâles clartés intenses
et froides, La Tour exprime d’une manière glacée et pourtant sensible quelque
chose d’implacable dans son essence mortelle, souvent misérable, soumise à
tous les maux que pourtant la chaleur d’une présence accompagne, entraîne,
admoneste ou rassure. Mais toujours demeure le caractère humain du quotidien
dans son plus extrême dépouillement.
Cet art secret, ample,
individualiste, strictement passionné de lui-même, toujours à la lumière de la
bougie ou de la lanterne s’efforce de peindre le mystère de
l’âme à l’écoute dernière du mystère du monde, de la naissance, de la vie, de
la foi, de la mort. Le style lumineux ou sombre élève l’individu,
réceptacle du divin au plus haut de sa grâce ou le rabaisse au plus bas de sa
condition sans jamais qu’intervienne l’au-delà, autrement que par la vanité
symbolique d’un crâne ou d’une source de lumière voilée. Par un lent et
calme amour de la peinture, de la maîtrise, la sobriété expressive se
voit poussée à sa géométrie la plus tendue sans que le réalisme ne perde
rien de sa vérité.
La Tour
est mort en 1652. Il fallut attendre qu’un érudit allemand, Hermann
Voss établisse le rapprochement entre les documents de 1863 et deux ou trois
tableaux pour que Georges de La Tour, célèbre de son vivant, peintre du roi, puis
oublié durant plus de deux siècles fût enfin remis à l’honneur. Attribuées
tantôt à Zurbaran ou à Murillo, aux frères Le Nain ou à Seghers et à bien
d’autres encore, ses œuvres, une quarantaine connue à ce jour dispersées à
travers le monde ne permettent pas d’établir avec certitude une chronologie
définitive puisque seul « Les larmes de Saint Pierre » du Musée de
Cleveland daté de 1645 et « Le reniement de Saint Pierre » du Musée
de Nantes daté de 1650 peuvent servir de repères. Néanmoins Le Tricheur est
situé aux alentours de 1635.
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